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Pourquoi le poids n’est pas un curseur de santé ?

Dans cet article, je vous propose de questionner une croyance qui représente un raccourci dangereux responsable de stigmatisation et de souffrances pour de nombreux individus. Cette croyance est qu’il faut être mince pour être en bonne santé. Et que par conséquent, les personnes qui ne rentrent pas dans les normes actuelles de « poids santé » doivent maigrir à tout prix. Nous allons voir ensemble pourquoi ces étiquettes et généralisations posent problème et que le lien entre poids et santé est bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Pourquoi le poids n’est pas un révélateur fiable d’un état de santé ?

Il faut savoir que nous ne sommes pas égaux en santé et que la prise de poids est la résultante d’une multitude de facteurs, dont certains sur lesquels nous n’avons pas de pouvoir d’action. L’obésité est une maladie chronique complexe, aux causes multiples. D’après la Ligue Contre l’Obésité, l’obésité puise à la fois ses sources dans des prédispositions génétiques, des signatures épigénétiques, des dysfonctionnements physiologiques et dépend fortement de la société et du contexte dans lequel nous évoluons (Retrouvez un article ici sur les préjugés et les déterminants du poids pour continuer la réflexion) :

De nombreuses personnes en situation de surpoids et d’obésité sont engagées dans des prises en charge depuis de nombreuses années (parfois l’enfance) et surveillent leur santé, leur alimentation et leur hygiène de vie plus fortement que des personnes qui ne sont pas concernées.

Par conséquent, une personne peut être en situation de surpoids ou d’obésité et avoir une bonne hygiène de vie tout comme une personne peut être mince et avoir une mauvaise hygiène de vie.

Une étude américaine s’intéressant au lien entre la perception du poids et les comportements en santé d’adolescents de la Californie du Sud avait par exemple relevé que les adolescents qui se percevaient comme minces consommaient des aliments considérés comme moins « sains » (hamburgers et sodas ordinaires), tandis que ceux qui se percevaient comme étant en surpoids mangeaient des aliments considérés comme plus « sains » (salade et légumes).

Le poids n’est donc pas à lui seul un curseur de santé et il est très réducteur de le placer en tant que tel. Le poids est certes un facteur de risque pour de nombreuses pathologies mais qui s’inscrit dans une hygiène de vie globale : tabac, alcool, sommeil, alimentation, sédentarité, pratique d’activité physique etc.

Et certaines personnes ont des problématiques de poids qui peuvent être la résultante de mauvaises habitudes de vie. Une prise en charge hygiéno-diététique pourra alors contribuer à une perte de poids et à une meilleure santé.

Le poids est ainsi un indicateur intéressant à prendre en compte dans un contexte global.

Des variations importantes du poids peuvent par exemple être le témoin de pathologies ou de troubles psychiques.

Mais il est important de garder à l’esprit que le physique et la corpulence d’une personne n’est pas nécessairement le reflet de son hygiène de vie, ni de son état de santé physique et mental.

Cette généralisation est responsable de souffrances pour de nombreuses personnes qui ne rentrent pas dans les normes actuelles de poids et qui sont alors victimes de stigmatisation et de discrimination car jugées irresponsables et coupables de sortir de cette norme établie.

Ces préjugés sur le poids peuvent également empêcher des diagnostics et prises en charge comme par exemple des cas d’anorexie chez des personnes en situation de surpoids ou d’obésité ou encore des troubles psychiques comme des troubles du comportement alimentaire ou des dépressions chez des personnes de corpulence rentrant dans les normes actuelles de santé.

Enfin de nombreuses personnes en dehors des normes actuelles de poids « santé » devront se restreindre pour rentrer ou se rapprocher de ces normes mettant en péril sur le long terme leur rapport à leur alimentation et leur santé mentale.

Les objectifs thérapeutiques fixés par la Haute Autorité de Santé (septembre 2011) nous indique que :

  • pour les patients en situation de surpoids : il n’y a aucune indication à perdre du poids sauf s’il y a des comorbidités. L’objectif est avant tout de ne pas prendre de poids.
  • pour les patients en situation d’obésité : une perte pondérale de 5% à 15% par rapport au poids initial est recommandée et une prise en charge des comorbidités associées.
  • pour les patients en échec thérapeutique: on visera avant tout à stabiliser le poids

L’IMC (Indice de Masse Corporelle), un bon exemple de ce raccourci entre poids et santé ?

Créé en 1832 par Adolphe Quetelet, mathématicien, astronome et statisticien belge, un des fondateurs de la statistique moderne, cet indice est appelé aussi l’indice de Quetelet. A l’époque, il cherchait à définir l’« homme moyen blanc » en s’intéressant à la relation entre le poids et la taille d’une population d’adultes.

Dans les années 60, les compagnies d’assurance se sont intéressées à la formule afin de présenter des tableaux reliant le ratio poids/taille au genre, à l’âge et au risque de développer certaines maladies et mortalité.

En 1972, un professeur de physiologie qui effectuait des recherches sur l’obésité, Ancel Keys, publie, un article «Indices of Relative Weight and Obesity » dans lequel il montre que cet indice est le plus fiable pour évaluer la masse graisseuse d’une population masculine. L’indice est rebaptisé en «indice de masse corporelle».

L’indice est alors progressivement utilisé en épidémiologie dans le cadre de recherche sur la santé des populations avant de s’intégrer comme un outil de diagnostic de l’obésité pour les professionnel.le.s et enfin de tomber dans le domaine public. Toute personne aujourd’hui peut calculer son IMC sur internet ou avec sa calculette et il est notamment utilisé par les structures marketings de perte de poids pour appuyer et légitimer la vente de leurs produits et services.

Rapide, simple d’utilisation et économique, l’IMC a tout pour séduire et s’est rapidement imposé sur le devant de la scène.

Pourtant cet indice est de plus en plus remis en question car on voit qu’il présente de nombreux biais et limites :

  • Il n’intègre pas les variables comme le sexe, l’âge, l’ethnicité des patients susceptibles de modifier sensiblement son interprétation. On peut donc questionner sa fiabilité dans son utilisation pour de nombreuses catégories de la population (femmes, personnes âgées, personne de petite taille etc.)
  • L’indice ne s’intéresse qu’au poids et à la taille. Il ne prend pas en compte la densité osseuse, la masse musculaire ni l’adiposité (masse graisseuse). Si on suit cet indice, de nombreux.ses athlètes sont en situation de surpoids ou d’obésité alors qu’il s’agit principalement de masse musculaire. Une personne au dessus de la norme de l’IMC peut également être en situation de dénutrition.
  • Le lien entre l’IMC et le risque de développer des maladies chroniques est donc principalement supposé du fait qu’il est associé à la masse grasse. Hors si l’indice semble pertinent à une échelle populationnelle, il ne semble pas très fiable pour évaluer la répartition du tissu adipeux à un niveau individuel. Pour un même IMC, on peut avoir un taux de masse grasse différente d’une personne à l’autre. D’autres mesures comme celui du tour de taille d’un individu semble plus significative de l’état de santé d’une personne (syndrome métabolique, à coupler également avec d’autres facteurs de risque) ou encore la mesure des plis cutanés, l’impédancemétrie ou la dexa .
  • L’indice classe les personnes comme étant dans la norme ou hors de la norme. Ce classement peut être fortement anxiogène et stigmatisant pour de nombreuses personnes. De plus, il peut amener à de l’insatisfaction corporelle et/ou une préoccupation excessive envers le poids en voulant un poids qui va à l’encontre de sa physiologie naturelle encourageant des pratiques à risque pour la santé globale.

« Une chose, disait Keys, est d’évaluer le pourcentage moyen de tissus adipeux d’un groupe de nombreux individus de différentes constitutions, une autre que de coller un chiffre et une étiquette sur un individu sans tenir compte de ses caractéristiques personnelles. »

Si l’IMC peut être intéressant pour évaluer l’évolution de la santé des individus en fonction de leur poids à une échelle collective, il apparait comme une donnée « peu fiable » et stigmatisante à titre individuel, comme on vient de le voir, qui n’est pas à elle-seule révélatrice d’un état de santé.

On peut ainsi rencontrer des personnes avec un IMC sortant de la norme établie en bonne santé cardiovasculaire par exemple, comme des personnes avec un IMC dans la norme mais en mauvaise santé cardiovasculaire.

Une étude américaine s’intéressant aux erreurs de classification de la santé cardiométabolique compte tenu des catégories standard d’IMC avait montré que près de la moitié des personnes en situation de surpoids et près d’1/3 des personnes en situation d’obésité étaient métaboliquement saines (au regard d’autres données comme la pression artérielle, les triglycérides, le cholestérol, le glucose, la résistance à l’insuline et la protéine C-réactive). D’après ces mêmes critères plus de 30 % des individus de poids « normal » étaient en mauvaise santé cardiométabolique. En utilisant les catégories d’IMC comme principal indicateur de santé, des millions d’américains sont classés à tort comme cardiométaboliquement en mauvaise santé ou cardiométaboliquement en bonne santé et victimes de discrimination (Les  employeurs pouvaient pénaliser les employés jusqu’à 30 % des frais d’assurance maladie s’ils ne répondent pas aux critères de « santé », tels que l’atteinte d’un indice de masse corporelle (IMC)).

Et s’il existe bien une corrélation établie entre l’évolution de l’IMC et l’apparition de pathologies dans une population, pour de nombreuses personnes il ne sera pas forcément fiable sur la probabilité de développer des maladies par la suite.

L’IMC est donc un outil non inclusif qui devrait être utilisé avec beaucoup de recul et d’esprit critique.

Pour un diagnostic individuel, il est à coupler à d’autres données plus significatives de l’état de santé d’une personne et à d’autres facteurs de risque dans l’apparition future de certaines pathologies (ce qui est déjà le cas). L’IMC mesure une tendance générale d’une société mais n’est pas un prédicteur fiable de santé individuel.

On peut regretter qu’il soit utilisé par le grand public et des structures marketings de perte de poids, encourageant des pratiques à risque pour la santé comme celles de régimes amaigrissants (En savoir plus sur les dangers des régimes en cliquant ici). En générant une forme de pression à se rapprocher d’une norme établie, elle peut inciter des personnes à suivre un régime amaigrissant alors qu’elles n’ont pas de problèmes de santé. Cette envie de perdre du poids, pour des raisons esthétiques et de conformité, peut entrainer les personnes dans le cycle infernal des régimes générant perte et reprise de poids et altérant leur relation à leur corps et leur alimentation. C’est ainsi que de nombreuses personnes cherchant à se rapprocher à tout prix de la norme fixée par l’IMC nuisent à leur santé globale (physique, mentale et sociale).

Pour conclure,

Il serait réellement intéressant de sortir de ce paradigme de poids pour viser un paradigme de bien-être. L’adoption de bonnes habitudes de vie devraient être un objectif pour toutes les personnes qui le désirent quel que soit leur poids.  L’objectif final devrait être d’encourager chez la personne une relation saine avec son corps et son alimentation et viser son bien-être global et non le chiffre sur une balance.

Merci à Aurélie Quillet, présidente de l’association Lyon Info Obésité pour sa précieuse relecture


Si vous souhaitez poursuivre la réflexion sur l’IMC, je vous recommande cette vidéo de vulgarisation scientifique :


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