Discriminations,  Santé publique

Pourquoi le jeu est un support intéressant en éducation pour la santé ?

Dans ce nouvel article, je vous propose de revenir sur l’utilisation du jeu en éducation pour la santé. En effet un support ludique est souvent présent dans les interventions en prévention et éducation à la santé que ce soit :

  • sous forme de jeux (plateaux, cartes…)
  • dans les modalités d’animations (jeux de rôles, débat mouvant…)
  • de serious games

Alors pourquoi cette modalité est particulièrement intéressante dans une approche de promotion de la santé ? En plus de permettre une approche ludique, comment s’inscrit-elle dans la réussite des objectifs visés ?

Dans une présentation menée par l’IREPS Auvergne-Rhône-Alpes “Jouer avec la santé ? Le rôle du jeu en prévention et promotion de la santé”, Cédric Gueyraud, Docteur en sciences de l’éducation, nous indique que l’on retrouve 2 grands types de jeux en prévention et promotion de la santé :

  • Le jeu libre : laissés à disposition
  • Le jeu dirigé qui vise à transmettre un message clair et à renforcer le niveau d’information des individus.

Pour mieux établir la frontière entre jouer et ne pas jouer, on peut s’appuyer sur 5 caractéristiques pour définir ce qu’est jouer (Brougère, 2005) : le second degré, la décision, la règle, la frivolité et l’incertitude.

L’intérêt du jeu offre plusieurs dimensions :

• un intérêt culturel en ce qu’il est constitutif de culture et médiateur culturel,

• un intérêt social car il aide à être en relation,

• un intérêt éducatif par la stimulation cognitive et l’espace de liberté et de prise de risque que le jeu offre,

• un intérêt thérapeutique au niveau fonctionnel, cognitif et comportemental.

Soulignons également que nous retrouvons l’utilisation du jeu en andragogie lors des formations d’adultes consistant à transposer des attributs du jeu à des fins motivationnelles.   

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé  :

« L’éducation pour la santé est la composante des soins de santé qui vise à encourager l’adoption de comportements favorables à la santé. Par l’éducation pour la santé, on encourage à faire ses propres choix pour une vie plus saine. On ne force pas à changer. L’éducation pour la santé ne remplit pleinement sa fonction que si elle encourage les gens à participer et à choisir eux-mêmes. Ainsi, ce n’est pas faire de l’éducation pour la santé que dire simplement d’adopter un comportement favorable à la santé ».

(OMS, 1990)

De plus, les différentes recherches en éducation pour la santé ont montré que les comportements de santé résultent d’un mélange entre :

  • Le savoir : les connaissances
  • Le savoir-être : les représentations et les valeurs
  • Le savoir-faire : les aptitudes et compétences
  • L’environnement (déterminants de santé tel que le cadre politique, le statut socioéconomique…)

Pour pouvoir prendre une décision, il faut déjà pouvoir visualiser divers comportements, pouvoir les comprendre et connaître leurs conséquences.

Le jeu semble ainsi favoriser un des premiers objectifs : favoriser l’apprentissage de comportements sains voir permettre leur utilisation au quotidien.
Alors comment le jeu favorise t-il ces apprentissages ?

Les théories de l’apprentissage issues de la philosophie, de la psychologie et des sciences de l’éducation ont évolué au cours du temps et sont regroupées autour de trois grands courants : le béhaviorisme, le cognitivisme et le constructivisme.

L’apprentissage peut être défini comme « toute modification stable des comportements ou des activités psychologiques attribuables à l’expérience du sujet. » (Le Ny, 2008).

On peut compléter cette première définition avec celle de De Ketele (1989) : “l’apprentissage est un processus systématiquement orienté vers l’acquisition de certains savoirs, savoir-faire, savoir être et savoir devenir.”

Cela revient donc à acquérir, s’approprier des connaissances, construire de nouvelles compétences, modifier sa façon d’agir, de penser (Barnier, 2010).

Or les capacités d’apprentissage dépendent en grande partie de facteurs motivationnels. Les travaux en psychologie expérimentale confirment l’importance de la motivation qui serait un facilitateur, un carburant de l’apprentissage (Gros et Wach, 2014). 

La motivation, qui d’un point de vue étymologique vient du latin  « moveo », renvoie aux termes de mouvoir, se bouger. Vallerand  et Thill (1993) la définiront comme le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité, la persistance et l’arrêt du comportement (Colmet, 2008).

Pour aller plus loin, nous pouvons nous appuyer sur la théorie d’Harlow qui différencie deux motivations en fonction du but de l’action.

  • La motivation extrinsèque qui va se définir par des objets externes tels qu’éviter quelque chose de désagréable ou au contraire gagner une récompense.
  • La motivation intrinsèque lorsqu’un comportement est réalisé pour le plaisir occasionné (Deci, 1975, Vallerand et coll., 1993).

Cette  distinction se révèle importante puisqu’elle impacte directement sur la performance. En effet, Lloyd et Barenblatt (1984) ont démontré l’existence de relations positives entre la motivation intrinsèque et la performance scolaire chez les étudiants du secondaire.

Des recherches ont démontré que des conditions favorisant la motivation intrinsèque mènent à un meilleur apprentissage et à une performance accrue (Deci et Ryan, 1985, Deci et coll., 1991). Sélectionner un support favorisant ce type de motivation peut ainsi amplifier l’effet de mémorisation. 

Il semble donc pertinent de se diriger vers le jeu pour la stimulation intrinsèque qu’apporte le jeu avec le plaisir de jouer. 

Un jeu bien conçu, que l’on estime réussi, est, par définition, intrinsèquement motivant

Sutter Widmer et Szilas, 2017

Des études ont ainsi montrer qu’une des conditions de réussite d’un serious game est que leur conception prenne en compte des scénarios d’apprentissage (Howell, 2005 ; Raybourn, 2007)

En éducation à la santé, la démarche éducative prend pour objet le travail sur les représentations sociales de la santé.
Alors si le jeu paraît un excellent support pour favoriser l’apprentissage, qu’en est-il du travail sur les représentations ?

Si on s’éloigne du jeu exact tel qu’il est définit au début de l’article, une approche par le ludique (avec un cadre, des règles ou des consignes, des objectifs, des modalités d’animation et de restitution) est utilisée dans les techniques d’animation pour travailler les représentations en santé.

Mais rappelons de quoi il s’agit quand nous parlons de représentations.

Le document de Cultures Santé “Questionner les représentations sociales en promotion de la santé” nous propose cette définition :

Les représentations sociales sont des grilles de lecture et d’interprétation du monde, que chacun porte en soi. Elles guident les comportements, les actions et les interactions sociales. Elles leur confèrent un sens. Elles sont composées de divers éléments : certains issus de connaissances d’ordre scientifique, d’autres relèvent plutôt du sens commun. Elles comportent également des images, des croyances, des normes, des valeurs

Chacun construit ses propres représentations sociales au fil de son expérience de vie, ses expériences personnelles, professionnelles. Chacun a sa propre vision qui peut plus ou moins être partagée par les autres.

Elles dépendent aussi du contexte social, culturel, politique, économique, éducatif ou médiatique dans lequel on évolue. Les représentations sociales vont au-delà de l’individuel. Elles sont en effet partagées par un groupe, une collectivité.

Elles constituent alors un lien qui unit les individus et sont associées à une appartenance sociale. Enfin, il est important de souligner que les représentations sociales ne sont pas figées et définitives. Elles évoluent au gré des rencontres et au contact d’autres visions du monde.

Ainsi en éducation pour la santé, de nombreuses techniques d’animation ont pour objectifs :

  • l’expression (et la conscientisation) des représentations des participants du groupe
  • la confrontation de ces représentations entre les membres du groupe avec le partage d’opinions

Il ne s’agit pas tant de transmettre de l’information que de comprendre et d’identifier les représentations sous jacentes à un comportement qui influence la santé.

Dossier documentaire « Formation Techniques d’animation ». CoDES 84 / CoDEPS 13 – 2018

L’animateur pourra également voir où le groupe se situe sur la thématique de santé sur laquelle il travaille.

L’objectif étant également de rendre acteur les participants. Par exemple, les mises en situation et les jeux de rôles sont des outils pédagogiques puissants pouvant s’utiliser à des fins diverses en début, milieu ou fin de séquence selon les objectifs visés et permettant une réelle expérimentation.

« Faire est mieux que Dire, Faire Faire est mieux que Faire ! »

ROBERT Sylvia, Mises en situation et jeux de rôle en formation, First, 2010-11, 6 p.

Dans l’article de PsyCom “Pourquoi nous stigmatisons sans le vouloir” qui présente les différentes étapes, souvent inconscientes, du processus de stigmatisation, il nous rappelle que la stigmatisation découle, surtout, de nos représentations sociales :

“Il s’agit de la manière dont nous rassemblons, autour d’un groupe de personnes (les femmes, les homosexuels, les jeunes d’origine maghrébine, les dépressifs…), un ensemble de stéréotypes. Nous estimerons par exemple que les femmes sont douces et émotives, ou que les personnes dépressives sont fragiles et dénuées d’humour.

PsyCom – La stigmatisation et les discriminations

Il revient également sur l’utilité du processus de stigmatisation qui se révèle nécessaire pour chacun et chacune d’entre nous en assurant plusieurs fonctions essentielles :

  • Une fonction cognitive : ces représentations nous permettent de réfléchir vite. En effet, il serait trop long et trop coûteux, pour notre cerveau, de décoder tous les événements nouveaux qui surviennent autour de nous en détail et dans leur complexité. (…) Ce procédé permet de nous sentir moins déstabilisés face à l’inconnu.
  • Une fonction sociale : ces représentations nous lient aux autres. Si je les remets en question, je me mets en danger dans ma relation aux autres. Le groupe peut considérer que je m’oppose et m’exclure.
  • Une fonction identitaire : ces représentations fondent notre identité. Si je les remets en question, je prends le risque d’ébranler toute ma personne.

Aussi, il est difficile de remettre en question du jour au lendemain nos représentations sociales, même si elles nous amènent à stigmatiser sans le vouloir, et des réactions d’inconfort et de rejet peuvent se manifester avec des émotions de peur, de colère ou d’incompréhension (“Où est la vérité ?! ” ; “Le monde n’est pas tel que je l’avais imaginé… »).

Si la simple volonté ne suffit pas, des pistes de solution sont proposées comme la recherche d’une motivation et dun bénéfice à ce changement de regard et de croyances (par exemple pour un professionnel de santé, ce sera peut-être d’améliorer la relation avec ses patients) et surtout la sensibilisation et la confrontation à d’autres points de vue par le biais de lectures, de podcasts, de formations, de conférences. Apprendre au contact de personnes ayant cheminé sur cette question, notamment parce qu’elles sont touchées personnellement où déjà sensibilisées sur ces sujets semble efficace.

Ainsi toutes les techniques d’animation permettant la confrontation de représentations au sein d’un groupe permettra de déconstruire et remettre en question tout ce qui paraît aller de soi.


Michel Van Langendonckt, Maître-assistant en sciences sociales à la Haute Ecole Bruxelles-Brabant, dans son article “La ludopédagogie au cœur des apprentissages des secteurs éducatif, social et de la santé” nous donne la définition de ce nouveau terme :

La ludopédagogie comprend d’une part la pédagogie du jeu centrée sur l’attitude ludique et la ludification des apprentissages et, d’autre part, la pédagogie des jeux qui consiste à créer, adapter et utiliser des jeux à règles préétablies à des fins pédagogiques. Ces deux manières de la concevoir sont complémentaires et doivent idéalement être combinées.

“L’attitude ludique est la disposition d’esprit du joueur qui fait de son activité un jeu. Elle lui permet d’agir en prenant de la distance par rapport à lui-même et aux événements, d’affronter des incertitudes, des difficultés avec humour, de rebondir face à l’adversité.

 

Une thèse de doctorat (Sylvie Van Lint, ULB, 2015) publiée en 2016 (De Boeck) consacrée à l’attitude ludique dans le domaine de la santé insiste sur un précieux transfert possible dans la vie quotidienne. Elle la définit plus précisément comme : « la prédisposition de l’individu composée essentiellement de créativité, de curiosité, de sens de l’humour, de plaisir et de spontanéité qui modifie la façon de percevoir, d’évaluer et d’aborder les situations. À l’âge adulte, l’attitude ludique déborde des situations de jeu et s’étend aux situations de la vie en général… elle permet à l’adulte de se distancier de soi, d’autrui, des circonstances, et même des usages conventionnels pour aborder les situations avec ouverture d’esprit, pour trouver des solutions originales aux problèmes rencontrés et pour affronter et accepter les difficultés et les échecs. »

” Le jeu aide l’enfant à apprendre. Les jeux aident l’adulte à comprendre. “

Bruno Hourst, Sivasailam Thiagarajan – les jeux-cadres de Thiagi : techniques d’animation à l’usage du formateur (2001)

Le jeu est avant tout un excellent support pour favoriser les apprentissages en mobilisant la motivation intrinsèque des participants. Il permet également de maintenir les capacités attentionnelles et de créer des liens en favorisant une bonne dynamique de groupe. Certains jeux permettent également de mettre en place une démarche de coopération. Enfin il peut permettre de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle en rendant acteur les participants de leur apprentissage. La connaissance du public à qui s’adresse le jeu semble toutefois essentielle à sa création.

Les nombreuses techniques d’animation utilisant le ludique (abaque de régnier, débat mouvant, photolangage®, Métaplan®, technique de Delphes etc) permettent quant-à-elles le travail sur les représentations sociales par la conscientisation et la confrontation des représentations au sein d’un groupe, le débat et le partage d’opinions.

Au service de la promotion de la santé, la ludopédagogie permet donc de travailler la capacité d’agir, d’influer sur les comportements en facilitant alors le transfert des apprentissages dans la vraie vie. On permet de ré-instaurer les compétences sociales vécues dans le jeu.

Le programme belge PIPSa (Pédagogie Interactive en promotion de la santé) qui propose un “outilthèque” en ligne (https://www.pipsa.be) a réuni lors des journées “La santé en Jeu(x)” de nombreux participants pour expérimenter l’utilisation de jeux pour travailler différentes thématiques, pour s’adapter aux spécificités d’un public ou comme soutien au lien social.


Les participant(e)s à la journée confirment avec enthousiasme l’intérêt du jeu pour favoriser la motivation, l’engagement, la participation, l’empowerment, et donc constitue un précieux outil de promotion de la santé.

Et pour prolonger la réflexion, retrouvez un sketchnoting résumant les échanges et les conclusions de ces journées

De la pertinence de la ludopédagogie en promotion de la santé

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