Compétences psychosociales,  Education nutritionnelle,  Santé publique

La littératie en santé : comment rendre accessible les informations en santé ?

Nous savons que nous ne sommes pas tous égaux en matière de santé. Parmi les nombreux déterminants, certaines personnes peuvent rencontrer des freins dans l’accès, la compréhension et l’utilisation des informations de santé. En tant que professionnel·le de la santé, il est important de prendre en compte ces déterminants et d’adapter son discours afin de le rendre accessible à tous.tes et pour tous.tes.

La littératie en santé apparait comme une piste d’action intéressante pour y arriver. Nous allons voir ensemble dans une première partie plus en détail ce concept avant d’évoquer son utilisation dans la pratique sur la base de ressources et d’outils existants que j’ai pu documenter et utiliser lors de précédentes actions et missions en tant que chargée de projets en promotion de la santé.

Enfin, nous nous intéresserons dans une dernière partie sur un concept émergent apparu notamment pour répondre au déclin des connaissances alimentaires et des compétences culinaires : la littératie alimentaire.

La littératie : de quoi parle t-on ?

Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), la littératie est définie comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités » (Darcovich, 2000).

Elle est définie sur 5 niveaux :

  • Le niveau 1 dénote un niveau de compétences très faible ; par exemple, la personne peut être incapable de déterminer correctement la dose d’un médicament à administrer à un enfant d’après le mode d’emploi indiqué sur l’emballage.
  • Les répondants de niveau 2 peuvent lire uniquement des textes simples, explicites, correspondant à des tâches peu complexes. Le niveau 2 correspond à des personnes qui savent lire, mais qui obtiennent de faibles résultats aux tests. Elles peuvent avoir acquis des compétences suffisantes pour répondre aux exigences quotidiennes de la littératie mais, à cause de leur faible niveau de compétences, il leur est difficile de faire face à de nouvelles exigences, comme l’assimilation de nouvelles compétences professionnelles.
  • Le niveau 3 est considéré comme un minimum convenable pour composer avec les exigences de la vie quotidienne et du travail dans une société complexe et évoluée. Il dénote à peu près le niveau de compétences nécessaire pour terminer des études secondaires et entrer dans le supérieur. Comme les niveaux plus élevés, il exige la capacité d’intégrer plusieurs sources d’information et de résoudre des problèmes plus complexes.
  • Sont classés dans les niveaux 4 et 5 les répondants qui font preuve d’une maîtrise des compétences supérieures de traitement de l’information (Darcovich, 2000).

Dans une synthèse d’André C. Moreau sur l’étude des définitions du concept de littératie (André, 2013), il est mis en avant que la « littératie est un concept théorique qui vise plusieurs objectifs à la fois. La moitié des définitions soulèvent le fait que la littératie est un concept aux objectifs multiples, souvent interdisciplinaires, permettant de toucher à la fois les sphères personnelle, professionnelle, socioculturelle et écologique liées à l’apprentissage et à l’écrit. […] L’ usage du concept littératie présente l’avantage pour les chercheurs francophones de faire référence de façon positive à un processus continu de développement des compétences à l’oral, en lecture et en écriture, ce que le terme d’alphabétisation permet beaucoup moins (La fontaine, 2002). La littératie présente également l’avantage d’étudier les interactions entre les personnes et les environnements ».

Et la littératie en santé dans tout ça ?

Il existe de nombreuses définitions de la littératie en santé.

Je vous propose de s’attarder sur la définition de  Stephan Van den Broucke, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université catholique de Louvain et membre de l’Union Internationale de Promotion de la Santé et d’Education pour la Santé (UIPES). Il définit la littératie en santé comme : « la connaissance, la motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l’information de santé en vue de porter des jugements et prendre des décisions dans la vie de tous les jours en ce qui concerne la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, de manière à maintenir ou améliorer la qualité de vie » (Van den Broucke & Renwart, La littératie en santé en Belgique : un médiateur des inégalités sociales et des comportements de santé, 2014).

Il reprend les 4 compétences en santé qui déterminent la littératie en santé d’une personne selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) :

  • Accéder ou obtenir une information relative à la santé
  • Comprendre une information relative à la santé
  • Apprécier, juger ou évaluer une information relative à la santé
  • Appliquer ou utiliser une information relative à la santé (Kickbush, 2013)

Ces compétences s’appliquent aux 3 domaines de la santé, définis par S. Van den Broucke : le fonctionnement du système de santé et la gestion des soins, la prévention et la promotion de la santé (Sorensen & S, 2012).

Quand et pour qui utiliser la littératie en santé ?

Certains publics sont particulièrement concernés par ce concept même si nous allons voir par la suite que la littératie en santé peut concerner tout le monde notamment dans le développement des compétences.

Par exemple, les personnes analphabètes ou illettrées répondent à plusieurs critères nous permettant de faire l’hypothèse que leur niveau de littératie en santé est faible.

En effet, différentes publications s’accordent à dire qu’un faible niveau de littératie en santé est associé à :

  • Des difficultés de lecture et d’écriture. La pratique quotidienne de la lecture semble être l’un des principaux déterminants de la littératie en santé.
  • Un faible niveau de scolarité. Il s’agit, en effet, du deuxième facteur qui a le plus d’influence sur la littératie en santé (indépendamment de la pratique de la lecture).
  • Des différences culturelles et le fait d’avoir une langue maternelle autre que le français.

Les personnes en situation d’handicap mental et présentant des déficiences peuvent aussi être concernées.

Littératie et comportements en santé ?

La littératie est un puissant prédicteur de la santé, au même titre que sont le revenu, le statut d’emploi, le niveau d’éducation et le groupe ethnique d’appartenance (Kickbush, 2013).

D’après le rapport de I.Rootman et D.Gordon-El-Bihbety (Rootman & Gordon-El-Bihbety, Vision d’une culture de la santé au Canada: Rapport du groupe d’experts sur la litteratie en matière de santé publique, 2008) les études fondées sur les tests de mesure de littératie (REALM et TOFHLA) portent à croire que des capacités de lecture plus faibles sont associées à des comportements défavorables à la santé.

D’après S. Van den Broucke, les avantages d’un bon niveau de littératie en santé sont multiples :

  • des choix plus éclairés
  • une plus grande auto-efficacité
  • des attitudes et comportements de santé plus positifs
  • une prévention accrue
  • des meilleurs résultats de santé
  • le développement du capital social
  • une diminution des coûts des soins de santé.

Par conséquent, de bons niveaux de littératie en santé améliorent la santé globale de la population (Van den Broucke & Renwart, La littatie en santé en Belgique : un médiateur des inégalités sociales et des comportements de santé, 2014).

Il apparait donc que le niveau de littératie en santé des individus a une influence sur les comportements de santé. Plus un individu aura une littératie élevé, plus il adoptera des comportements favorables à sa santé.

Et dans la pratique, comment utiliser la littératie en santé ?

D’après S. Van den Broucke il existe 3 stratégies permettant d’agir sur la faible littératie (Van den Broucke, Health Literacy : The solid Facts – What can be done about low health literacy, 2016) :

  • Augmenter les capacités individuelles en littératie en santé via l’éducation et la formation
  • Compenser la faible littératie de certains groupes par le biais d’outils et de mesures spécifiques
  • Adapter les demandes institutionnelles

Lors d’intervention auprès de public cible ayant une faible littératie, il parait donc judicieux de créer et d’utiliser des outils adaptés.

Le concept de littératie en santé est ainsi utilisé pour construire des outils permettant de délivrer une information  compréhensible pour les personnes témoignant d’un faible niveau de littératie.

Je vous propose ici de revenir sur 3 outils concrets.

– Le « Guide complémentaire : La littératie en santé pour des communications écrites compréhensibles » de G. Beauregard et V. Dorval (Beauregard, Janvier 2012)

Dans ce document, la construction d’outils de communication compréhensible nécessite la réalisation de 3 étapes clés :

  • Connaitre le public cible

Des recherches dans la littérature scientifique peuvent permettre d’avoir une connaissance claire entre la thématique de santé concernée et le public cible. Des rencontres en amont avec le public sur le terrain ou des échanges avec des professionnel.lle.s à leur contact peut permettre de dresser un profil des personnes présentes et de déterminer plus précisément leur niveau de littératie.

  • Formuler des objectifs de communication clairs

Chaque séance ou outil construit aura des objectifs de communications qui seront précis et clairs.

  • Identifier les messages clés

Chaque séance ou outil construit aura un/des message(s) clé(s) qui sera(ont) précisé(s).

– Le guide « Pour qu’on  se comprenne,  guide de littératie en santé,  Agence de la santé et des services sociaux de Montréal » de Valérie Lemieux (Lemieux, 2014)  

Il définit des critères de la littératie à respecter lors de la construction d’outils et d’actions en santé.

Ainsi, chaque séance ou outil sera construit en respectant les critères de la littératie :

  • Intervenir sur un ou plusieurs de ces 3 critères :
    • Connaissances
      • Acquérir des connaissances sur la santé et ses déterminants
      • Connaitre des ressources en prévention / habitudes de vie
      • Aider à prendre une décision
    • Compétences
      • Acquérir de nouvelles aptitudes individuelles en matière de santé
      • Résoudre un problème / trouver des solutions
    • Comportements
      • Appliquer une recommandation ou un enseignement
      • Influencer un comportement
  • Limiter le nombre de messages à 2 ou 3 maximum par séance
  • Communiquer de façon active (sans négation) et directe (le « vous »)
  • Vulgariser le jargon et les mots techniques
  • Placer l’information la plus importante à l’avant-plan

– Le langage Facile A Lire et A Comprendre (FALC), « L’information pour tous : Règles européennes pour une information facile à lire et à comprendre » de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis (UNAPEI) (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis, Octobre 2009 )

Enfin la Communication Alternative Améliorée (CAA) regroupe différentes approches pour améliorer la communication des personnes qui ont des difficultés pour communiquer dont le FALC : Facile A Lire et A Comprendre.

Il s’agit d’un langage conçu dans le cadre d’un projet européen afin de rendre les informations accessibles pour les personnes qui ont un handicap intellectuel. Il est précisé que « ces informations accessibles seront aussi utiles pour beaucoup d’autres personnes. Par exemple : pour ceux qui n’ont pas le français comme langue maternelle ou pour ceux qui ont des difficultés à lire » (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis, Octobre 2009 ).

L’UNAPEI a défini des règles générales pour produire des informations faciles à comprendre ainsi que des règles spécifiques pour 4 types d’informations : écrite, électronique, audio et sur vidéo.

La littératie alimentaire, un concept émergent ?

La littératie en santé permet également de s’intéresser à des comportements plus spécifiques en santé et ses déterminants comme en témoigne par exemple le développement du concept de la littératie alimentaire.

Dans un dossier spécial de « 100° : pour des collectivités en santé » en Octobre 2020 sur la littératie alimentaire, elle apparait comme un concept particulièrement intéressant de promotion de l’éducation alimentaire pour répondre au déclin des connaissances alimentaires et des compétences culinaires.

La littératie alimentaire selon Santé Canada Définition provenant du Guide alimentaire canadien : « La littératie alimentaire inclut les compétences et pratiques alimentaires apprises et utilisées tout au long de la vie pour se débrouiller dans un environnement alimentaire complexe. Ce concept prend aussi en compte les facteurs d’ordre social, culturel, économique et physique liés à l’alimentation.»

On y apprend que ce concept a été « nommée une première fois en 2001 par la chercheuse et professeure américaine Kathryn Kolasa, de la East Carolina University”. Depuis, il semblerait que la “food literacy” a fait l’objet d’un grand nombre de publications, tout spécialement depuis 2015.

“Même si sa définition exacte ne fait pas consensus, la majorité des chercheurs s’entendent sur le fait que la littératie alimentaire englobe non seulement l’ensemble des compétences culinaires et des connaissances alimentaires, mais également un certain nombre d’attitudes et de perceptions (comme le sentiment d’auto-efficacité) en plus d’être directement influencée par le contexte social et le système alimentaire. »

Directrice du Département de nutrition à l’Université de Montréal, Marie Marquis explique que « la littératie alimentaire va de la source de l’aliment – savoir d’où viennent les aliments – jusqu’à sa consommation, explique-t-elle. Avoir une bonne littératie alimentaire implique donc de détenir des compétences pour acheter l’aliment, pour lire les étiquettes, pour comprendre l’importance des sources alimentaires locales. La littératie alimentaire implique ainsi des habiletés non seulement sur le plan nutritionnel, mais aussi des compétences au niveau social, peut-être même au niveau politique et sociologique. Ce sont ces habiletés qui nous guident dans nos achats alimentaires et nous permettent notamment d’avoir un regard critique sur la provenance des aliments ainsi que l’omniprésence des aliments transformés. Une fois que les aliments sont achetés, la littératie alimentaire nous permet également de bien les préparer et les conserver. C’est aussi ce qui nous amène à prendre conscience de l’importance de la commensalité, du fait qu’on ne mange pas de la même manière si on mange seul plutôt qu’avec d’autres personnes

Deux chercheuses australiennes, Helen Vidgen et Danielle Gallagos, ont développé un modèle souvent utilisé pour représenter l’étendue des compétences qu’englobe le concept de littératie alimentaire. Prenant la forme d’une fleur, leur schéma se décline en quatre pétales représentant les différents groupes de compétences reliées à l’alimentation :

  • Planifier et gérer
  • Sélectionner
  • Préparer
  • Consommer

Pour ces deux chercheuses, la littératie alimentaire se définit de la manière suivante (traduction libre) : « La littératie alimentaire repose sur la capacité des individus, des foyers, des communautés ou des nations à protéger et renforcer la qualité de leur alimentation au fil du temps. Elle se compose d’un ensemble de connaissances, d’habiletés et de comportements interdépendants qui déterminent la qualité et la quantité des aliments consommés. Elle permet à la personne de planifier des repas en fonction d’un budget et de sélectionner, préparer et manger des aliments répondant à ses besoins nutritionnels.»

D’autres modèles ont plutôt opté pour une schématisation plus large afin d’illustrer l’impact des environnements physiques et sociaux sur la littératie alimentaire.

C’est notamment le cas du modèle développé par les nutritionnistes en santé publique de l’Ontario prenant en compte :

des facteurs personnels comme les connaissances alimentaires et nutritionnelles, les connaissances culinaires, l’auto-efficacité et la confiance

et des facteurs sociaux externes comme les systèmes alimentaires , les déterminants sociaux de la santé ou encore les influences socioculturelles et les habitudes alimentaires.

Cette littératie alimentaire semble d’autant plus nécessaire que nos environnements se caractérisent actuellement par l’omniprésence d’aliments ultra-transformés.

Les initiatives favorisant la littératie alimentaire comme les jardins pédagogiques, les ateliers culinaire ou les ateliers d’éducation nutritionnelle encouragent ainsi les jeunes ou les adultes à renouer avec l’origine des aliments qu’ils consomment et à développer leur esprit critique et d’analyse vis-à-vis au contenu de leur assiette.

Pour conclure,

Utiliser la littératie en santé, c’est promouvoir une information accessible à toutes les personnes sur des thématiques de santé. Mais si on parle ici de connaissances, on voit que la finalité est bien de développer les compétences et l’autonomie des personnes en leur permettant d’être actrices de leur santé dans les choix et les comportements favorisant leur santé.

Besoin d’adapter ou de créer un document de santé ou des ateliers d’éducation pour la santé pour des publics spécifiques ? Je suis formée en FALC et j’ai déjà travaillé à la construction de séances et à l’adaptation de documents de prévention santé en partenariat avec des associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap mental et les personnes en cours d’alphabétisation. Contactez-moi pour un diagnostic et un devis.

Pour en savoir plus sur mes ateliers d’éducation à la santé et d’éducation nutritionnelle : https://www.parfaitement-imparfaite.fr/ateliers/

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