Estime de soi,  Insatisfaction corporelle,  Norme beauté,  Régime,  Société

Pourquoi le poids est-il un « mécontentement normatif » pour les femmes ?

« Il semble que depuis toujours, les femmes interrogent l’image que leur renvoie le miroir. Pourtant, le reflet naît davantage du regard que de la glace. Peu importe son poids et sa taille, il faut à tout prix se soucier de son apparence, veiller à l’améliorer, à la transformer et à l’entretenir, ce qui nécessite toute une discipline et implique plusieurs coûts, que ce soit en termes de temps, d’argent ou d’énergie. » (Sophie Vinette)*

En 1984, des chercheurs caractérisent le poids comme un « mécontentement normatif » pour les femmes de notre société alimentant la culture des régimes.

Plus de 30ans après, rien n’a changé et on observe effectivement qu’il apparait « normal » pour une femme d’être insatisfaite de son corps et de chercher à vouloir le modifier.

C’est ainsi que :

  • 58 % des femmes de poids normal souhaitent peser moins
  • 2/3 des femmes ayant un poids normal se trouvent trop grosses et voudraient perdre en moyenne 5 kilos
  • 75 % des françaises âgées de 18 à 65 ans ont déjà fait un régime et en font encore
  • Chaque année, les Français dépensent trois milliards d’euros pour obtenir la silhouette de leurs rêves

Alors comment expliquer cette insatisfaction corporelle chez les femmes ?

Si l’insatisfaction corporelle peut apparaitre chez les enfants dès l’âge de 5 ans quel que soit leur sexe, il est intéressant de voir que l’on constate l’apparition d’une différenciation sexuelle à l’adolescence. Un écart va se creuser entre les filles et les garçons avec le phénomène de puberté.

Les résultats de l’enquête HBSC 2018 en France nous indique ainsi « un point de vigilance concernant l’image du corps avec 20 % des garçons de 15 ans et 35 % des filles du même âge qui se considèrent comme « trop gros ».

Chez les filles, la puberté va s’accompagner d’une augmentation du tissu adipeux et de la masse grasse. Ces modifications vont les éloigner des idéaux corporels de minceur prônés actuellement et peut expliquer en partie l’augmentation de leur insatisfaction corporelle. Chez les garçons, au contraire, la puberté s’accompagne d’un développement musculaire les rapprochant de l’idéal corporel masculin, mince et musclé.

Ainsi, chez les filles, c’est la précocité de la puberté qui va accroitre leur insatisfaction. Tandis, que chez les garçons, c’est le retard pubertaire qui la renforcera.

Les stratégies de modification corporelle vont ainsi être différentes selon le sexe. Les filles vont chercher à modifier leur silhouette et à perdre du poids et du muscle par des comportements alimentaires. Les garçons vont eux vouloir accroître leur stature, leur  poids et leur masse musculaire par des conduites dopantes (créatine, anabolisants..) et la pratique physique.

Mais d’autres éléments que la puberté peuvent expliquer cette pression plus importante sur le poids et le corps des femmes

  • Le corps des femmes est surreprésenté dans les médias par rapport à celui des hommes
  • Les filles font plus de comparaisons sociales que les garçons
  • Les filles reçoivent généralement plus de commentaires, tant positifs que négatifs, sur leur corps que les garçons

D’une manière générale, il existe une valorisation et une importance du physique plus importante chez les femmes en lien avec les stéréotypes de genre et les critères de féminité.

Ainsi d’après Brené Brown, chercheuse en sciences humaines et sociales, l’apparence et l’image corporelle sont les premiers facteurs chez les femmes génératrices de honte : « Ne pas se sentir suffisamment jeune et belle est ce qui leur fait le plus honte« .

Dans une étude américaine sur la conformité aux normes, des chercheurs ont listé les attributs les plus importants associés à la « féminité ». Se soucier de sa ligne et utiliser ses ressources pour améliorer son apparence en font partie (parmi être gentille, afficher sa modestie sans attirer l’attention sur ses talents, bien tenir son intérieur, aimé les enfants, limiter sa sexualité à une relation engagée).

La dépréciation de son corps et le jugement des autres semble alors un trait intégré de la féminité. D’ailleurs, il est assez fréquent dans une conversation entre femmes de surenchérir sur leur dépréciation corporelle, en soulignant à quel point elles s’éloignent des canons de minceur : « Mais si toi tu es grosse, alors moi je suis énorme » ou encore de compter autour de la machine à café combien de semaines il leur reste pour perdre du poids pour les vacances d’été.

Sophie Cheval, psychologue spécialisée dans les souffrances liées à l’apparence physique, nous informe que ces discussions appelées « fat talk » concernent 93% des femmes et se pratiquent dès l’adolescence. Dans 86% des cas, ces conversations impliquent des femmes de poids normal ou minces.

Alors pourquoi est-il la norme de se dire énorme et insatisfaite de son corps, alors même qu’on ne l’est pas ?

Ces discussions auraient deux principales fonctions :

  • recevoir de l’empathie et se rassurer sur son insatisfaction corporelle
  • être intégré au groupe en se conformant aux préoccupations corporelles des autres femmes.

Dire la même chose que les autres nous évite ainsi de défendre une position minoritaire et de prendre le risque d’être rejeté. Au contraire, dire que l’on se trouve « bien comme on est » serait une attitude peu féminine. Dénigrer son corps apparait alors comme l’attitude la plus susceptible de nous permettre d’être apprécié par notre entourage féminin. En revanche, pour plaire aux hommes, il faudrait dire que l’on s’accepte comme on est. Voilà une injonction sociale bien paradoxale.

Mais entre filles, la dévalorisation de son image corporelle est ainsi une puissante norme sociale à laquelle il faut se conformer, sous peine d’être rejeté.

Si le « fat talk » permet effectivement aux femmes de soulager ensemble leur crainte d’être grosses, ces conversations augmentent la focalisation des femmes sur l’apparence de leur corps en renforçant l’idéal de minceur.

Ainsi les femmes qui présentent un niveau faible de préoccupation et d’insatisfaction corporelle finissent par se trouver plus grosses après ces discussions. Entendre les copines parler négativement de leur apparence physique les conduits à s’en préoccuper et provoque insatisfaction et souffrance. Ces effets négatifs sont amplifiés lorsque les copines sont de corpulence différente. Les études montrent que les femmes pratiquent d’autant plus le « fat talk » qu’elles adhèrent à l’idéal de minceur et souffrent d’insatisfaction corporelle.

Ces conversations alimentent un véritable cercle vicieux : plus on se dénigre pour soulager sa souffrance, plus on alimente les ressentis et jugements négatifs envers son corps.

De plus, les femmes qui se regardent dans une glace s’évaluent avant tout par le prisme du regard de ce que les autres pourraient en dire

Dans son ouvrage « Belle autrement ! En finir avec la tyrannie de l’apparence », Sophie Cheval nous indique que les femmes auraient intériorisées une vision d’un corps-parure qui conduit les femmes à se regarder être regardées.

Elles se perçoivent comme devant être « les jolies choses » qu’on attend qu’elles soient. Cette perception aurait émergé en Occident avec l’ère du « corps postindustriel ». Autrefois le corps était un outil de travail et de production utilisé dans les champs et les usines qui produisait de la valeur économique et collective. Avec l’apparition du travail intellectuel de bureau, le corps est devenu un ornement qui produit de la valeur esthétique et individuelle : « Maintenant que nous avons cessé de travailler avec nos corps, travaillons donc sur eux ».

C’est sans compter sur les magazines féminins, films, publicités qui mettent en avant cette importance sociale du physique et de la minceur chez les femmes et prônent une beauté unique et un idéal inatteignable pour les femmes de la vie réelle.

C’est ainsi que :

  • 96% des pages d’un magazine féminin comptent au moins une image de corps féminin
  • environ 40% de sa surface totale est occupée par la publicité.

Les adolescentes reconnaissent que les magazines influencent leur représentation du corps. Des recherches ont montré que l’adhésion à une image corporelle négative augmente avec l’exposition à l’idéal de minceur. Ainsi dès les années collèges, l’insatisfaction corporelle est fonction de la fréquence de lecture des magazines féminins et du nombre de revue consultées chaque semaine. Plus les adolescentes lisent ces revues, plus elles ont la conviction erronée d’être en surpoids et plus elles font des régimes et de l’exercice physique afin de ressembler à ces modèles corporels.

Par ailleurs, les enfants sont exposés très tôt à des idéaux très irréalistes en matière de forme et de poids.

Une étude néerlandaise a d’ailleurs montré que les petites filles jouant avec une poupée aux proportions exagérément minces diminuaient inconsciemment leur prise alimentaire par rapport à celles jouant avec des légos ou des poupées de taille moyenne.

Il est intéressant également de constater que les discriminations liées au surpoids sont plus présentes chez les femmes que chez les hommes. Les femmes en situation d’obésité sont ainsi huit fois plus touchées par les discriminations à l’embauche que celles qui ont un IMC normal. Les hommes, eux, sont trois fois plus touchés.

Ces éléments expliquent en partie que la plupart des femmes, quel que soit leur poids, ont une image corporelle négative. Divers chercheurs ont soutenu que le corps de la femme est socialement construit comme un « objet » à surveiller et à évaluer, alors que ce n’est pas le cas pour les hommes.

Cette insatisfaction profite ainsi à de nombreuses personnes (laboratoires, franchises commerciales de perte de poids, commerciaux) exploitant le mal-être et le désir des personnes de se rapprocher de ces idéaux corporels diffusés massivement par les médias. Car si on sait que les régimes et produits amaigrissants ne fonctionnent pas sur le long terme, ils représentent avant tout un précieux marché.

Et les hommes dans tout ça ?

Il est intéressant de voir que les pressions sociétales sur le physique concernent de plus en plus les hommes.

On assiste depuis quelques années à une modification des figurines masculines pour enfants (plus musclés) et à une transformation des magazines masculins qui valorisent de plus en plus le physique et la musculature (symbole de force). Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à considérer que leur corps ne correspond pas à la représentation idéale du corps masculin. Certains auteurs parlent du « complexe d’Adonis » pour désigner l’insatisfaction corporelle masculine.

Pour se trouver beaux, les hommes sont, eux aussi, invités à posséder une morphologie paradoxale. Comme chez les femmes qu’on presse d’avoir un corps à la fois androgyne et féminin (très mince mais avec des seins et des fesses charnues), ils doivent posséder à la fois une morphologie juvénile et une musculature virile. D’après Sophie Cheval, l’idéal masculin c’est « un adolescent avec de gros muscles, or ces morphologies se rencontrent très rarement dans la nature et ont en commun d’alimenter insatisfaction corporelle et d’inviter à la transformation du corps« . Les hommes présentent ainsi plus fréquemment des troubles du comportement alimentaire, consomment de plus en plus de stéroïdes et pratiquent la chirurgie esthétique. La liposuccion du ventre et les implants pectoraux sont en constante augmentation, leur nombre aurait triplé au cours de la décennie 1990. Dix pour cent des hommes qui font de la musculation souffrent de d’une perception erronée du corps (on parle d’anorexie inversée ou de bigorexie).

Alors si la beauté n’est pas encore un attribut aussi valorisé chez un homme que chez une femme, la préoccupation devient croissante : « La parité hommes/femmes est plus prompte à prendre des formes esthétiques que politiques » (Sophie Cheval).

Alors comment faire pour limiter ce phénomène ?

En tant que professionnelle de santé, il me parait essentiel d’informer sur cette problématique pour aider les personnes à prendre conscience qu’elles peuvent faire le choix de ne plus se plier à cette pression sociale d’un corps conforme à ce que la société exige et surtout à ne pas s’engager dans des méthodes dangereuses pour la santé.

Pour cela, il s’agit d’ :

  • Informer sur les dangers et l’inefficacité des régimes amaigrissants
  • Promouvoir la diversité corporelle : il existe une infinité de silhouettes et de formats corporels. Il est « normal » de ne pas ressembler aux images des corps que l’on peut voir dans les médias et qui ne sont pas représentatifs de la société
  • Informer sur les déterminants du poids. Même en mangeant sainement et en étant actif, il n’est pas possible de contrôler son poids et sa silhouette comme on le souhaite car plusieurs déterminants du poids sont hors de notre contrôle. De plus, le corps vit et change au cours de la vie. Il est normal pour de nombreuses personnes de ne plus peser le même poids à 20, 30 ou 40 ans
  • Encourager de saines habitudes de vie pour être en bonne santé et pour se sentir bien dans sa peau et non pour viser un chiffre sur une balance
  • Promouvoir la bienveillance et l’acceptation corporelle
  • Promouvoir l’éducation aux médias qui permet de travailler sur l’internalisation des images médiatiques

Si cette thématique vous interpelle et que vous avez envie de faire preuve de plus de bienveillance et d’acceptation de votre corps, je vous suggère ces pistes d’action :

  • Avoir une lecture critique des images du corps « médiatiques », des conseils médiatiques (magazines féminins, télévision) et savoir reconnaitre les images malsaines exagérément minces ou musclés
  • Suivre sur les réseaux sociaux des personnes, des comptes bienveillants prônant la diversité corporelle et l’acceptation de soi
  • Apprendre à se détacher du regard des autres
  • Développer sa confiance en soi et apprendre à ne plus faire dépendre son estime personnelle de facteurs extérieurs tels que l’apparence et le poids
  • Arrêter de commenter son corps et le corps des autres. Choisir de ne plus participer ou alimenter les conversations de comparaison et de rabaissement de soi et de son corps
  • Remettre à leur place les personnes qui commentent votre poids. Il s’agit souvent de personnes très préoccupées par leur poids et qui transfèrent leurs angoisses et leurs attentes corporelles sur vous
  • Si l’apparence compte particulièrement pour vous, essayer de miser sur d’autres éléments modifiables et sans conséquences sur votre santé : la coiffure, les vêtements etc. Choisir des couleurs et des vêtements qui vous mettent en valeur en respectant votre morphologie
  • Développer de la gratitude envers votre corps et tout ce qu’il vous permet de faire.  
  • Travaillez sur ces pensées dévalorisantes, jugeantes ou de comparaisons. Il existe des techniques issues notamment des thérapies cognitivo-comportementales pour travailler la gestion de ce type de pensées et limiter leur impact sur nous, nos humeurs, nos comportements et notre bien-être.

Je vous conseille pour commencer la lecture de ces ouvrages :

  • Le piège du bonheur du Dr Russ Harris (initiation à la thérapie ACT : d’acceptation et d’engagement)
  • Petit cahier d’exercices d’acceptation de son corps de Anne Marrez et Maggie Oda
  • Accepter son corps et s’aimer de François Nef et Emmanuelle Hayward

Pour conclure,

Se soucier de son physique et de son poids devient finalement problématique quand cela nuit à son bien-être et à sa santé physique et mentale. En soi, ce n’est pas le fait de vouloir modifier son corps le problème mais bien d’avoir recours à des comportements dangereux pour la santé pour arriver à un objectif irréaliste qui ne correspond pas à la réalité physiologique du corps. C’est ainsi que les régimes qui promettent une perte de poids facile, rapide et conséquente sont suivis par de nombreuses personnes sans se soucier de leur impact négatif à long terme sur la santé physique et mentale.

Un professionnel de santé pourra au contraire proposer une solution, souvent plus lente, mais respectueuse du corps et qui préservera la relation avec la nourriture et la santé de la personne. Il accompagnera également la personne à la recherche de son poids d’équilibre et travaillera sur son acceptation, quand celui-ci ne correspond pas à son idéal.

Alors que l’on soit un homme ou une femme, rappelez-vous que vous n’êtes pas responsable de votre corps, ni des idéaux corporels mais que vous pouvez décider de l’impact de ces idéaux sur votre vie. Nous avons tous des morphologies différentes, parfaitement imparfaites, et c’est ce qui fait que nous sommes uniques.

La pression sur les corps existent depuis longtemps mais il est possible dans un premier temps d’en prendre conscience et dans un second temps de choisir de ne plus s’y soumettre. Retrouvez le bonheur d’être différent et de mener une vie en accord avec soi-même, sans être freinée par l’apparence physique est à votre portée. A vous de le décider et de décider de faire passer votre bien-être et le respect de votre corps et de sa morphologie naturelle avant les diktats de l’apparence. Le chemin ne sera pas toujours facile tant les pressions nous entourent, il y aura des hauts et des bas, mais vous y gagnerez sur le long terme énergie, confiance, force, sérénité et surtout santé et bien-être.

Si vous souhaitez aller plus loin, retrouvez mes interventions d’éducation nutritionnelle adaptées aux différents publics et favorisant une relation saine avec son corps et son alimentation sur : https://www.parfaitement-imparfaite.fr/ateliers/

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